Au sud-ouest de la Louisiane, de vastes territoires attirent les convoitises des planteurs américains du sud ; c’est la région du Texas, rattachée alors au Mexique, indépendant depuis peu. Le gouvernement mexicain, pour développer l’activité sur le territoire texan, décide faire appels aux planteurs américains et leur offre de gigantesques domaines cultivables, en échange de quoi ces planteurs doivent adopter la nationalité mexicaine et le catholicisme. Les planteurs américains arrivent en masse, sans pour autant se sentir soudainement de fervents patriotes mexicains. En 1835, il y a plus de 30 000 nouveaux colons américains au Texas et ceux-ci demandent l’indépendance au Mexique, qui la refuse. Une révolte armée se développe et la république indépendante du Texas est proclamée. Les mexicains massacrent la garnison texane de Fort Alamo, ce qui a pour effets d’indigner l’opinion américaine. Sam Houston, qui a servi sous les ordres d’Andrew Jackson, ainsi que des milliers de soldats américains partent alors soutenir les insurgés texans. Une victoire décisive est remportée en 1836 à San Iacinto. Le Texas indépendant choisit comme président Sam Houston et demande immédiatement son intégration dans l’union. Celle-ci pose problème. Si le Texas rentre dans les Etats-Unis d’Amérique, la balance du pouvoir va pencher en faveur des Etats du sud esclavagiste, au détriment des états libres du nord. Dans l’embarras, Andrew Jackson ne peut accepter l’intégration du Texas, qu’il ne fait que reconnaître diplomatiquement. La question de l’intégration de cet état va continuer de déchaîner la vie politique américaine jusqu’à l’année cruciale de 1844.

fall of alamoLa chute d’Alamo par Robert Jenkins

En 1844 l’élection présidentielle est remportée par James Polk, un fervent expansionniste gagné à la cause du sud, qui va décider d’annexer le Texas et d’autres territoires à l’ouest du Mississippi. Cet expansionnisme américain trouve une légitimité dans le concept de « destinée manifeste » (Manifest Destiny), développé par le journaliste John L. O’Sullivan. C’est la théorisation de l’impérialisme agressif, qui trouve un écho très favorable chez les démocrates et rencontre l’hostilité des whigs. O’Sullivan prophétise dans son ouvrage l’expansion des États-Unis jusqu’au pacifique comme une conséquence « providentielle » de la conquête de l’ouest.

Manifest DestinyCe tableau de John Gast illustre les Etats-unis sous la
forme allégorique d’une jeune femme (Columbia) menant les
pionniers américains vers l’ouest : c’est la « destinée manifeste »

En conséquence à ce mouvement expansionniste, la guerre est déclarée contre le Mexique en 1846. En 1848, le Mexique va faire de larges cessions territoriales aux Etats-Unis : tous les territoires au nord du Rio Grande sont cédés contre compensation financière. Les États-Unis ont alors presque atteint leur dimension territoriale actuelle. Mais le tribut humain et financier est lourd. Les conséquences politiques sont énormes. La définition politique des nouveaux états va opposer les esclavagistes et les anti-esclavagistes. Dès 1846, au début de la guerre contre le Mexique, David Wilmot, représentant du Tennessee au Congrès, propose que les territoires annexés à la suite de la guerre soit interdits d’esclavage. Avec l’expansion de l’esclavage, il y a un équilibre politique qui menace de se briser, celui entre les états libres et les états esclavagistes.

Depuis 1808, l’importation de nouveaux esclaves sur le territoire américain est interdite, mais l’esclavage s’est depuis solidement pérennisé. Il y a 900 000 afro-américains esclaves en 1800 et 4 millions en 1860, pour un total de 31 millions d’habitants. Une bataille idéologique autour de l’esclavage grandit tout au long de la première moitié du 19ème siècle. Les opposants à l’esclavage sont souvent des religieux, qui y voient un péché absolu, une incompatibilité avec le message chrétien d’amour du prochain. En 1831, William L. Garrison publie à Boston The Liberator, un journal dans lequel il soutient que l’esclavage doit être aboli immédiatement, sans aucun dédommagement vis-à-vis des propriétaires et que les noirs doivent être totalement émancipés. Ses idées d’avant-garde, jugées extrémistes, ne trouvent guère d’écho direct pour le moment mais l’idée de l’abolition de l’esclavage va cheminer dans les milieux intellectuels du nord-est. En 1840, on y dénombre environ 150 000 abolitionnistes, qui vont diffuser l’idée de l’abolition de l’esclavage dans la classe politique de leur époque. En 1847, l’American Colonization Society organise même le rapatriement d’esclaves libérés vers une parcelle achetée sur la côte africaine, le Libéria. Mais rares sont les esclaves libérés qui acceptent d’y émigrer et ce déplacement de quelques rares affranchis ne solutionne pas le problème global de l’esclavage aux Etats-Unis. Dans le camp opposé, l’argumentaire esclavagiste avance que les noirs sont des êtres inférieurs qui ne sauraient assurer leur propre sécurité et santé sans l’aide de l’homme blanc. L’esclavage est selon les sudistes une bonne chose car il est fondé sur la bible et admis par la Constitution et permet en outre d’éviter la lutte des classes, observée avec les ouvriers du nord-est. Ces antagonismes grandissants vont être au centre du combat politique du milieu du 19ème siècle aux Etats-Unis. La question de l’esclavage avait été jusqu’alors abandonnée à la souveraineté et à la liberté des états. Entre 1803 et 1814, plusieurs états se sont créés mais l’équilibre était préservé (onze états de part et d’autre). Les conquêtes territoriales réalisées après la guerre contre le Mexique vont transformer l’esclavage en un problème fédéral.

oncle tomL’oncle Tome battu par Simon Legree
Cette illustration est tirée de la Case de l’Oncle Tom,
roman de Harriet Beecher Stowe qui a beaucoup aidé
à la propagation des idées abolitionnistes en Amérique

1820 – Le compromis du Missouri

Un premier risque de perte d’équilibre survient lorsque le Missouri demande son intégration dans l’union en tant qu’état esclavagiste. Devant la polémique qui enfle au Congrès, Henry Clay élabore un « compromis sectionnel » : l’esclavage sera autorisé dans le Missouri mais interdit dans tous les nouveaux états situés au nord du parallèle 36°30’ de latitude N (voir la carte ci-dessous). Cet arrangement inquiète Thomas Jefferson, qui, de sa retraite, pressent les discordes à venir : « Cette grave question m’a réveillé au milieu de la nuit comme si c’était le tocsin. Je l’ai prise aussitôt pour le glas de l’Union. Elle est assoupie, il est vrai, pour le moment, mais ce n’est qu’un sursis ».

compromis du missouri 1820

1850 – Le compromis de Californie

En 1845, quand l’annexion du Texas devient effective, le camp sudiste se retrouve renforcé face au nord. En 1848, une ruée vers l’or précipite près de 55 000 chercheurs en Californie où une pépite a été découverte. Si quelques chercheurs font fortune, la plupart se reconvertissent dans le commerce et l’agriculture, gonflant la démographie de San Francisco. C’est ainsi qu’en peu de temps, la Californie possède suffisamment de citoyens sur son territoire pour demander à devenir un Etat. C’est chose faite en 1850, année pendant laquelle la Californie demande à rentrer dans l’union en tant qu’Etat non esclavagiste. Mais le territoire est situé de part et d’autre du parallèle 36°30’ de latitude N, ce qui provoque un débat enflammé au Congrès pendant plusieurs mois. Henry Clay, encore lui, propose un nouveau compromis : la Californie sera admise comme état libre tandis que de nouveaux territoires issus de la cession mexicaine (l’Utah et le Nouveau Mexique) décideront par un vote des résidents de leur position.

henry clayHenry Clay, l’homme
des compromis

1853 – La question du Kansas

Ce fragile équilibre basé sur le marchandage se rompt lorsque le Kansas et le Nebraska veulent rentrer dans l’union. Selon le compromis du Missouri, ces états étant au nord du parallèle 36°30’ de latitude N, ils doivent être libres. Mais les sudistes contestent cette décision sur le fait que les pionniers du Missouri voisin veulent y acquérir de nouvelles terres et y immigrer avec leurs esclaves. La décision est prise de laisser les territoires décider par eux-mêmes de leur positionnement. Les élections, truquées, donnent la victoire aux esclavagistes. De violents affrontements font suite à cette élection, qui revêtent la forme d’un début de guerre civile.

Suite à ces moments de tension, le parti whigs éclate, divisé par des positions divergentes de ses membres sur la question de l’esclavage. Dans le même temps se forme dans le nord et l’ouest le parti républicain qui mène campagne contre l’esclavagisme. Il est mené par Abraham Lincoln et réunit d’anciens whigs anti-esclavagistes et des abolitionnistes. Profitant de ce trouble dans l’opposition, le parti démocrate, largement soutenu par les sudistes, occupe le pouvoir lors des années 1850, avec Franklin Pierce (1853-1857) et James Buchanan (1857-1861) comme présidents. L’élection de 1856 symbolise bien la division nord/sud du pays. Les démocrates remportent tous les suffrages dans le sud et trois états dans le nord : Pennsylvanie, Illinois et Indiana tandis que les républicains sont majoritaires dans l’ouest et le nord.

abraham lincoln jeuneAbraham Lincoln au début de sa carrière

Les années cinquante sont toutes entières dédiées à la querelle de l’esclavagisme. En 1852, la Case de l’Oncle Tom, roman d’Harriet Beecher-Stowe connaît un succès de librairie retentissant, avec un million d’exemplaires vendus. Le roman raconte les mésaventures d’une famille d’esclaves du sud et émeut ses lecteurs. Le sud trouve en un autre ouvrage, Cannibals All, son pamphlet idéal. Ce livre accusait le nord de vouloir cannibaliser l’économie sudiste.

En 1858, un espoir se profile dans le camp abolitionniste, puisque de nouvelles élections locales ont lieu dans le Kansas qui bascule dans le camp anti-esclavagiste. L’état est ensuite rejoint dans sa décision par le Minnesota et l’Oregon. Cette avancée est toutefois vaine, coupée par un arrêt de la Cour Suprême.

1857 – Dred Scott vs Sanford

Un esclave noir, Dred Scott, porte plainte contre l’un des ses maîtres et demande le droit à la citoyenneté dans les années 1850. L’affaire est portée face à la Cour Suprême en 1857 qui décide de rejeter la demande du plaignant et statut sur deux points : un noir ne peut pas être citoyen et, en conséquence, ne peut aspirer à la liberté ni mener des actions en justice, le compromis du Missouri est déclaré inconstitutionnel car le Congrès n’a pas le droit de priver un citoyen de son bien en interdisant l’esclavage dans un territoire. L’esclavage est donc accepté légalement partout. La décision, qui supprime un accord vieux de trente ans, déclanche la fureur des abolitionnistes. Les deux camps apparaissent désormais comme durablement irréconciliables. L’élection de 1860 qui s’approche va décider de la suite des événements.

dred scottDred Scott par Louis Schultze